Leila Amini : «Je n'ai filmé qu'un fragment de la situation des femmes en Iran»
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Véritable coup de cœur lors de sa présentation au dernier festival de Locarno, la cinéaste iranienne Leila Amini nous avait accordé le privilège d’un bref entretien pour parler de son documentaire «A Sisters' Tale».
Depuis 40 ans, les femmes iraniennes ont l’interdiction de chanter en public. Pourtant, Nasreen, malgré les injonctions de sa mère et de son époux, décide de se faire tatouer une clé de sol et de croire en son rêve de devenir chanteuse. Et bientôt à Téhéran, en 2016, sa sœur, la réalisatrice Leila Amini, capte les premières images de son émancipation.
«Nasreen chantait depuis notre enfance», nous dit-elle, «Tout le monde était habitué à entendre sa voix. Mais après s’être mariée, c’est comme si elle avait tout oublié. Après sa dépression, j’ai senti que quelque chose était en train de renaître, mais j’ignorais l’intensité de sa passion. Quand elle m’a appelé pour me dire qu’elle allait se faire un tatouer une clé de sol, j’ai compris que c’était sérieux. La première scène du film, c’est aussi la première fois que je l’ai filmée.»
Le jour de la présentation du film «A Sisters' Tale» à Locarno, la séance s'entame devant une salle comble. Les 90 minutes s'éclipsent bien vite et, bientôt, la lumière se rallume sous un tonnerre d’applaudissements. Le public est vraisemblablement conquis et soufflé par la volte de cette histoire et de son actualité.
«Je suis heureuse que ma famille soit là», nous avait-elle confié. «Nous avons regardé le film ensemble, c’est très important. C’est un film sur la voix, nous souhaitons que la voix soit entendue et le fait de pouvoir montrer le film dans un festival, devant autant de monde, ça m’a beaucoup touché. Les gens ont entendu la voix et le message du film.»
Sa mère l'implore de ne pas quitter son conjoint. Sans homme et sans argent, elle ne sera rien, lui assène-t-elle dans le documentaire. Leila Amini nous en parle: «Ma mère n’était pas contente que je fasse ce film. Elle était contre le divorce, on le voit à plusieurs reprises. Finalement, elle s’est adaptée, elle a compris notre affection l’une pour l’autre. Par la suite, on la voit beaucoup plus douce, elle change. Et puis en ce qui me concerne, certes, nous sommes sœurs, mais j’étais plus présente. Ça nous a vraiment rapproché durant cette période difficile.»
Dépression postnatale, divorce, anniversaires, ménage, chirurgie esthétique, leçons de chants et enregistrements dans le secret… Leila Amini encapsule à peu près tout, les tourments, l’éveil et Téhéran. «Nasreen est une femme iranienne qui vit véritablement au cœur des débats sur les femmes et de leurs combats. Je n'ai filmé qu'un fragment de la situation qu’elles subissent en Iran.»
La caméra attentive capture ce qui fait de l’existence de Nasreen une œuvre contemporaine sur la résilience et la sororité. L’occasion de parler plus largement des femmes qui se révoltent face aux lois du régime, et qui, derrière notamment le hashtag «I Take Back My Right To Sing», revendiquent leurs droits d’exister librement.
«Je me demandais d’ailleurs si tout ce qui se passe, notamment le mouvement «Femme, vie, liberté», devait faire partie du récit. Finalement, on a décidé que s’était bien de montrer tout ça au travers de Nasreen. C’est elle qui change, c’est elle qui s’émancipe. Elle en est l’incarnation, et on trouvait ça mieux de monter son parcours, plutôt que filmer directement la situation politique en Iran.»
Miroir d’une société brûlante dans laquelle virevoltent encore des êtres pétris d’espoir, Leila Amini signe un documentaire d’une humanité à toute épreuve. «Vous savez, je n’ai pas décidé de terminer le film sur une note d’espoir. On a de l’espoir. Nasreen a de l’espoir, c’est comme ça.». Et de conclure en reprenant un vœu formulé par sa mère le jour de son anniversaire dans une très jolie scène du documentaire : «le souhait de ma mère, c'est mon souhait à moi aussi. J’espère que l’Iran permettra un jour aux femmes et aux hommes de vivre librement.»
Un article initialement publié sur Cineman.ch